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Les Carnets d'Alcide

Les Carnets d'Alcide

Les articles d' Alcide Louis Naud


Pétrichor et Papillons

Publié par Alcide-Louis Naud sur 28 Décembre 2023, 13:43pm

Catégories : #Charente-Maritime, #1999, #Roman, #Saintonge

Voici encore un extrait ! Pour pouvoir en connaître la fin il faudra attendre la parution du roman 😉.

J'espère que vous aurez tous bien reconnu le film que mon héroïne regarde au cinéma 👍

Pétrichor et Papillons

Après un passage au stand de popcorn, ils pénétrèrent dans un espace obscur, illuminé par des spots noirs et carrés qui projetaient une lumière intrigante et familière. Une odeur troublante, mélange de vieux tissus et d’un soupçon de beurre fondu, flottait dans l'air, chatouillant leurs narines d'une manière désagréable, évoquant le parfum de vieilles chaussettes sales.

Zabou aurait aimé s’asseoir à côté de Jonas, mais Yoan, rapide comme l’éclair, l’avait devancée. Elle n'eut d'autre choix que de se contenter d'un strapontin inconfortable au bout de l’allée, se sentant étriquée dans l'espace en attendant le film, son cœur battant à l'idée de partager ce moment avec son ami. Les autres spectateurs présents ce mercredi 14 juillet, attendaient avec impatience les effets spéciaux extraordinaires dont tout le monde parlait depuis des semaines.

Fière d'avoir obtenu son brevet avec succès, Zabou voyait les grandes vacances comme un horizon infini de possibilités, un été qui pourrait changer sa vie. Mais ce soir, cette promesse de liberté était assombrie par l'ennui qui s’infiltrait en elle.

La pluie avait contraint les trois amis à faire la queue devant le guichet du seul cinéma de l’île, « l’Ostréa ». Elle se retrouvait donc enfermée dans cette salle, prête à visionner ce film soi-disant « révolutionnaire » : une histoire de rebelles humains luttant contre des machines pour sauver l’humanité prisonnière d’un monde virtuel.

Sur l'écran géant, une femme avec un bébé dans les bras traversa furtivement un appartement. Les autres « élus » se livraient à diverses activités, braquant leur regard sur Néo. Un enfant en kesa, assis au sol les jambes croisées, faisait léviter une cuillère à soupe. Le couvert se pliait et se redressait sans qu'il ne le touche, captivant l’attention du héros. L’enfant-moine interrompit alors son action pour expliquer avec sagesse à Néo que la cuillère n’existait pas et que ce qui se pliait n’était que son esprit.

Zabou réussit à étouffer un léger bâillement et à s'étirer sans déranger le reste de l’assistance. Elle s’efforçait de rester éveillée, surtout pour faire plaisir à Jonas, qui semblait absorbé par le film. Loin d'apprécier ce genre de science-fiction, elle rongeait son frein, le scénario embrouillant son esprit.

En tendant la main vers la droite pour attraper quelque chose à grignoter, elle lâcha un long soupir. Le monde gouverné par les machines semblait en danger, mais la jeune fille s’ennuyait profondément. Dépitée, elle jeta un œil au seau de popcorn calé entre les genoux du petit Yoyo, dont les pieds balançaient sans relâche. Il était complètement vide !

Avec un léger haussement d’épaules, Yoan étendit innocemment les bras, montrant le creux de ses mains. Zabou réprima un rire, la petite bouille lui renvoyant un sourire édenté, visible même dans l’obscurité.

La petite souris était passée plus d’une fois !

Les bruits de mitraillettes résonnaient, semblant percer la toile comme une véritable bataille, mais à l’intérieur de Zabou, c’était une autre guerre qui se livrait. Tandis que les péripéties de Néo se poursuivaient, elle se sentait de plus en plus déconnectée, piégée dans un monde où son cœur et son esprit luttaient pour trouver leur place. Zabou détourna à nouveau son regard de l'écran. Juste à côté, le garçon de six ans s'était laissé emporter dans les bras de Morphée.

Yoyo, avec sa mignonne tête ronde et ses taches de rousseur, à croquer... Et son grand frère Jonas...tout simplement... irrésistible.

Le garçon, au visage délicat et légèrement couvert de duvet, avec ses cheveux châtains indisciplinés tombant en désordre sur son front, restait captivé et absorbé par le film qu'il regardait pour la troisième fois.

Pfft...

Avec cette pluie à l'extérieur, elle aurait adoré être au bord des chemins, dans les fossés à pêcher des cagouilles. Oui, ils auraient pu organiser une course d’escargots ! Finir couverte de boue aurait été bien plus amusant qu'étouffer sous la chaleur ambiante de cette salle aux moquettes poussiéreuses ! D'autant plus qu'ils auraient emmené son chat. Yoyo, qui adorait Kagouille, se serait bien amusé à sauter dans les flaques d’eau.

Extraordinaire Kagouille !

Un chat hors pair qui ne craignait pas l'eau.  Il avait appris à nager dans le chenal d’Ors, où ils passaient des après-midis entiers à s’amuser ensemble. Kagouille, avec sa grâce naturelle, plongeait avec entrain, ses pattes agiles effleurant la surface de l’eau tandis qu’il faisait des ronds et des sauts acrobatiques. Il ne lui manquait que la parole pour être l'égal des humains !

Alors que les scènes d'action défilaient, son esprit vagabondait vers de plus doux souvenirs. Ces moments précieux devenaient le refuge de son esprit, loin des mitraillettes et de l’ennui.

Tant de fous rires partagés ! ....

Les cabanes qu’ils construisaient en forêt, lorsque Jonas se prenait pour un véritable Robin des Bois. Les berniques, ces fameux chapeaux chinois qu’il décrochait des rochers pour les rapporter à tante Ninie, la seule à en apprécier le goût ! Les compétitions qu’ils organisaient pour déterminer qui serait le plus rapide à attraper les couteaux sur la plage à marée basse.

Leur complicité indéniable se manifestait dans les échanges complices. Les familles Vigneaux et Laroche, liées par les souvenirs et les épreuves, formaient un cocon réconfortant. Dans ce petit monde à eux, chaque instant partagé devenait un trésor, chaque regard échangé, une promesse de tendresse.

Et des larmes…

Les enfants partageaient ce sentiment de solitude. Stéphanie, la belle-fille de Pierrot et Gisèle Vigneaux, était décédée pendant l’accouchement de Yoan. Ainsi, tout comme Zabou, les petits-enfants avaient perdu leur mère. Ce point commun avait particulièrement attaché l’adolescente à ses deux amis et l’avait poussée à éprouver une affection toute particulière pour le petit Yoyo, qui n’avait jamais connu sa maman.

En cette année 1999, beaucoup de choses avaient changé concernant Jonas. Au grand désarroi de son père, il n’avait pas réussi à obtenir son Bac. En guise de punition, le chirurgien lui avait confisqué ses consoles de jeux vidéo, son ordinateur, et même son 3210. Ce GSM, d’une marque finlandaise mondialement connue, avec son antenne intégrée et sa couleur gris métallisé, lui avait permis de crâner devant ses camarades au lycée jusqu’à l’approche des examens. C’est sûr que s’il avait consacré son temps à suivre les cours plutôt qu’à jouer à Snake sur son écran, il aurait peut-être réussi à décrocher son diplôme…

Il faut dire que Marc avait beaucoup de difficultés à élever seul ses deux enfants. Son fils aîné, quant à lui, était très satisfait d’avoir obtenu son permis et avait reçu l’autorisation de rendre visite à ses grands-parents à La Chevalerie. Pour la première fois, au volant de sa toute première voiture, Jonas avait traversé fièrement le pont reliant l’île à la France, avec son petit frère Yoyo.

 

Tandis que le film se poursuivait, elle ne pouvait s'empêcher de penser à Jonas. Ses yeux noisette brillaient d'une lueur captivante, et chaque sourire qu'il lui adressait faisait naître en elle des papillons dans le ventre. L'idée de lui avouer ses sentiments l'angoissait, mais elle savait qu'elle ne pourrait pas garder ce secret éternellement. Son cœur recommença à s’emballer, comme la veille au soir.

Jonas...

Zabou sentit son être tout entier se dérober sous l'effet de cette arrivée surprise. Elle rougit lorsque le jeune homme effleura sa peau de ses lèvres, une simple bise qui provoqua un frisson vibrant à travers son corps. Émergeant de cette situation troublante, elle fut sauvée par Yoyo, qui, en bousculant son frère, lui sauta au cou dans une étreinte joyeuse.

 Séduisant Jonas…

Avec ses épaules larges, sa mâchoire carrée et ses traits plus fins, il avait presque l’allure d’un homme. À cet instant, son regard flottait dans les airs, tel un bateau à la dérive sur une mer de pensées, bercé par la douceur radieuse de sa voix grave.

Le monde s’évaporait autour d’elle, coquelicot à la fragile floraison captivée par un nouveau soleil. Devant la danse rebelle de ses cheveux au gré de cette gestuelle masculine, elle se sentait comme un papillon de nuit envoûté par la lueur des flammes. Les secondes, suspendues d’extase, furent soudainement brisées par un déluge.

A la tombée de la nuit, Zabou trouvait enfin le sommeil, bercée par les ronronnements apaisants de Kagouille, l'odeur enivrante de la terre mouillée s’infiltrait à travers la fenêtre, la plongeant dans un cocon de sérénité. Elle se laissait emporter, le cœur léger, savourant ce moment de paix.

Les orages revenaient de plus belle, l’annonce d’une apocalypse imminente pesait lourdement sur les esprits. Cette première sortie à la plage avec ses amis, tant attendue, était désormais remise à un autre jour. Les intempéries et les orages s’intensifiant en ce mois de juillet succédant à un printemps torridement chaud, laissaient place à de sombres interrogations. La planète tout entière s’interrogeait sur ce qui l’attendait à l'aube de l’an 2000 : un bug informatique, un cataclysme, ou simplement la fin du monde ? Pour Zabou, toutes ces craintes semblaient aussi irrationnelles que le film qu’elle regardait. Ce qui l’obsédait réellement, c’était une autre peur, une plus intime.

 

Depuis la nuit précédente, son esprit était embrumé par ce nouveau sentiment. Elle avait jusqu’à la fin des vacances pour y voir plus clair, pour trouver une réponse. La simple idée que Jonas puisse partir avant septembre lui déchira le cœur. C’était trop tard, elle était amoureuse de son meilleur ami. L’aimait-il en retour ? Aurait-elle le courage de lui dire ? Le risquerait-elle de le perdre en révélant son secret ?

Le destin de Néo semblait se dessiner autour de la possibilité de sauver le monde, cette pensée lui parut presque dérisoire. Sa propre peur était bien plus personnelle : celle de perdre Jonas pour toujours. Dans un instant d’évasion, elle ferma les yeux et s’imagina loin de ce cinéma, au nord de l’île, escaladant les marches de Chassiron. Elle se voyait là-haut, avec Jonas, tous deux isolés du monde. Le bruit des gouttes d’eau tombant sur les vitres du phare l’enveloppait, tandis qu’ensemble, ils admiraient l’océan Atlantique déferlant sur les rochers. Et Jonas, tout près, l’embrassait passionnément.

Mais lorsqu’elle rouvrit les yeux, elle vit Trinity embrasser Néo pour le ressusciter.

Ouf ! Fini !

Après deux heures de film soporifique, elle allait enfin pouvoir prendre l’air. La salle semblait reprendre vie, mais la sonnerie du téléphone imposa subitement le silence, réveillant Yoyo qui se frottait les yeux.

C’est… fini ?

Chut ! Tais-toi ! réagit Jonas, toujours à sa place.

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